Dans les cas les plus urgents, et à la marge de nos activités de conseil aux entreprises, les problèmes que nous sommes conduits à résoudre posent une véritable question de civilisation. Comment un groupe organisé tel que celui de l’entreprise peut-il parfois générer, dans la durée et de façon tout à fait consciente, une telle souffrance humaine ?
Il est vrai que cette question interroge notre civilisation, dont un des principaux éléments de définition est effectivement le bonheur, l’épanouissement et le bien-être de ceux qui l’habitent. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle parvient le plus spontanément à se distinguer de la barbarie. Or, ainsi qu’on pouvait récemment le lire dans Télérama, l’entreprise est maintenant « (…) dominée par une logique financière devenue délirante, où seuls comptent les résultats chiffrés, la fameuse « création de valeur » pour l’actionnaire. Où les cadres sont devenus des « managers » assignés à la réalisation d’objectifs purement quantitatifs, où les employés deviennent des pions interchangeables, essentiellement envisagés en termes de « coûts » et de « charges »» (Michel Abescat, De la « mode du suicide », Télérama n°3115, 23 sept 2009, p. 11).
Les choses sont pourtant simples : aucune civilisation n’a jamais établi ses principes sur des critères purement quantitatifs, et la civilité implique quelque chose de plus que la rigueur des chiffres ou de l’évaluation ; elle implique un « je ne sais quoi » d’humain que l’on ne peut décrire en poids et mesures. Or si l’entreprise entend se définir par ses seuls résultats quantitatifs, alors elle ne peut être à la hauteur de la complexité qui caractérise l’humanité, complexité que le management est tout de même encore contraint de concevoir comme l’impondérable de la motivation, de la créativité, ou encore de la santé mentale…
Si donc l’entreprise n’entend que les chiffres, et ce faisant ne tient pas compte de la complexité de la nature humaine… elle court fatalement le risque de la briser.
Quelle est donc cette part de civilisation qui manque si cruellement à une partie des entreprises ? Certainement une largeur de vue et une culture qui permettent de concevoir que les êtres humains ne persévèrent pas dans leurs effets selon les seules quantités, mais que bien d’autres choses encore déterminent le résultat de leurs actions. Ce sont ces leviers que, sans perdre de vue les impératifs du rendement et de la performance quantitative, les managers d’entreprise demandent à Gaeris de retrouver pour eux. Nous sommes alors finalement les ambassadeurs d’une culture et d’une vision qui, à nouveau, manquent aux seules quantités.
Les êtres humains n’ont de toute façon pas le pouvoir de devenir des machines, la mécanisation de leur environnement les rendra plus vite malades… donnant même parfois à la mort un visage plus souriant que la vie. La plus récente actualité nous apprend que cela n’est plus de la science fiction, et pose ainsi cette grande question de civilisation : comment nous sauverons-nous en rendant à nouveau le travail compatible avec notre humanité ?
Certainement en se rappelant que les « résultats chiffrés » dont parle Michel Abescat sont le degré zéro de la civilisation, et qu’en concevant notre vie professionnelle à la lumière de ce seul fondement, nous ajoutons encore quelques pages au grand livre que les barbaries passées ont déjà trop écrit.