Mai 9

La culture de l’urgence

Les conditions d’immédiateté, d’imprévisibilité et de réactivité du travail réel peuvent être des contraintes objectives auxquelles il est alors impossible d’échapper. Il reste cependant nécessaire de considérer qu’une très courte temporalité a d’importantes conséquences sur les conditions de travail, et qu’elle implique une maîtrise et des stratégies susceptibles d’en amoindrir les effets.

Notre propos concerne donc la nécessaire amélioration des stratégies d’adaptation à des contraintes de temps qu’il n’est effectivement pas toujours possible de contourner. Mais au lieu de cette optimisation nécessaire, il arrive au contraire que les objectifs de production et l’opacité organisationnelle aggravent les effets de l’urgence. Si en effet j’ai peu de temps pour réaliser une tâche, la charge de travail et le manque d’organisation vont inévitablement raccourcir encore cette marge de manœuvre. Un productivisme accru dans un contexte d’opacité organisationnelle a effectivement pour effet de tout précipiter, sans moyen de pouvoir déterminer le moindre critère de priorisation. Tout dépend pourtant de la pertinence et de l’objectivité de ce critère, sans lequel les actions menacent effectivement de se cumuler dans un ordre aléatoire qui morcelle, interrompt et éparpille les actions en ne permettant pas d’optimiser un temps déjà trop précieux.

L’effet d’une telle cumulation des urgences dans un contexte à la fois de fort rendement et de plus ou moins grand déficit d’organisation, est une sorte de morcellement qui fait perdre le sens et la vision du travail. De la même façon que le manque de communication n’empêche pas l’information de circuler sous la forme de la rumeur, la culture de l’urgence et le manque de repères donnent tout de même lieu à une certaine priorisation, mais elle est aléatoire et fondée soit sur le hasard des événements, soit sur une série de critères informels tels que la force de la pression exercée ou le mauvais caractère de celui qui sera alors servi en priorité. Quand la liste des actions est un cumul de tâches désarticulées, ce sont effectivement l’agressivité du demandeur, le danger pressenti ou la visibilité du résultat qui diront dans quel ordre les aborder…

Jointe à une certaine opacité organisationnelle, une telle gestion des urgences conduit l’immense majorité des acteurs à évoquer une sorte de « bricolage », qui constitue non seulement une souffrance morale et « éthique », mais qui est aussi la source de la confusion mentale et du stress propres aux tâches interrompues et reprises plusieurs fois. Dans ces conditions, les missions et « aires de compétences » de chacun peuvent également se brouiller, et donner lieu à une polyvalence surtout destinée à compenser le désordre. Pour le dire plus simplement encore, le « tout urgent » consiste surtout à faire un peu de tout, sans ordre et au hasard des événements ou acteurs rencontrés. La confusion est alors à son comble, aussi bien du point de vue organisationnel que dans la façon de vivre le travail.

 

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