Au cours de nos activités de conseil en communication, certains managers disent vouloir s’adresser à leurs collaborateurs avec de plus en plus de naturel et de spontanéité. La relation de travail est pourtant une relation stéréotypée dans laquelle les protagonistes doivent parfois renoncer à leur nature afin de satisfaire aux exigences de leur mission. Lorsque par exemple notre boulangère nous sourit, et à moins que cette profession ait pour effet de rendre heureux, il est fort à parier qu’un tel sourire ne soit pas toujours naturel. Cet abord positif est au contraire le gage de son professionnalisme.
Cette formalisation de la communication est la condition de la maîtrise qui caractérise le professionnel, parce qu’une relation spontanée est par définition imprévisible. C’est aussi là une question de politesse et de respect, car rien ne dit que nos humeurs du moment puissent intéresser un interlocuteur qui a tout d’abord besoin de l’expertise d’un professionnel.
Il y a cependant, dans les convictions communes et les valeurs de notre temps, une passion de l’authenticité qui tolère mal la dissimulation et qui voudrait pouvoir « rester soi-même » en toute circonstance. La chose se discute encore pour les affaires personnelles, dans lesquelles toute vérité n’est d’ailleurs pas toujours bonne à dire… mais en tant que professionnel, le fait de ne rien dissimuler de soi-même fait tout simplement risquer la faute de goût.
Cette invitation à dissimuler une subjectivité qui mérite d’autant moins la considération d’autrui qu’elle tient aux particularités de notre seule personne, fait parfois passer le conseil en communication pour un obscur manipulateur. Il est vrai que l’arme est redoutable, et que la conscience morale doit constamment éclairer l’habileté technique, mais c’est au contraire l’honnêteté et le professionnalisme qui fait revêtir le masque de la profession et épargner à nos clients, partenaires ou collaborateurs, des centres d’intérêts ou des traits de caractère qu’ils ne considèrent que par politesse… et parfois avec ennui.
Dans son étude de la culture des cours du XVIIIème siècle, Marc Fumaroli répond pour nous à l’objection en distinguant la dissimulation de la basse simulation : « La dissimulation est une nécessité politique et sociale, qui peut et doit rester invisible ; la simulation et le mensonge sont des vices voyants du cœur. La dissimulation est l’indice général des rapports sociaux : elle est inséparable de la convenance, qui est attention pénétrante à autrui et à ses singularités autant que protection de soi. La simulation et le mensonge sont des moyens violents, symptômes d’une fêlure d’esprit et faiblesse d’âme. Ils rompent le pacte social et rendent odieux ceux qui s’y abaissent. A la limite, on pourrait dire que la dissimulation, habitus de la conduite des virtuoses, les dispense de la simulation et du mensonge auxquels sont réduits les faibles et les malhabiles. » Préface à Lord Chesterfield, Lettres à son fils, trad. Amédée Renée, Paris, Payot & Rivages, 1993, p. 34. Notre conseil est finalement de dissimuler sans mensonge et simulation, dans la continuité d’un déjà vieil art de se conduire en société.