La psychologie s’invite sans cesse au travail, et il est même difficile d’imaginer la moindre présence humaine sans une certaine charge psychique… à moins de disposer de « la tranquille supériorité d’un sage parfait » dont parle le psychologue Carl Gustav Jung.
Comme l’écrit aussi Kets de Vries, « se cramponner à l’illusion de la rationalité de l’action humaine – à l’idée que l’on pourrait « gérer » les individus sur la base de modèles simples de stimuli et de réponses -, c’est suivre la voie de la facilité. » Combat contre l’irrationalité des managers, trad. Larry Cohen, Paris, Editions d’Organisation, 2002, p. 2.
Le fait que nous soyons sans cesse obligés de rappeler la façon dont sentiments et passions s’invitent dans les situations de travail est lui-même extrêmement révélateur de l’emprise qu’exercent encore sur nous de vieilles habitudes cartésiennes. L’intelligence occidentale a effectivement tendance à tout concevoir en termes de mécanismes, de mesures… et le fait d’appliquer des procédures ou de mesurer des quantités est la seule activité qui a su gagner une réputation de sérieux. Il est vrai que l’application de protocoles techniques produit des résultats formidables en ce qui concerne la matière inerte, encore que l’intention de se faire « maître et possesseur de la nature » interpelle à présent notre conscience écologique et notre responsabilité vis-à-vis des générations futures.
Mais dans les situations de travail, les êtres humains imposent une nature (humaine donc) qui ne se laisse pas réduire à de froids mécanismes, et quoi que l’on veuille bien en dire, des enjeux relationnels et affectifs déterminent sans cesse les situations de travail.
La psychologie clinique permet d’intégrer cette dimension humaine, mais elle induit aussi une complexité souvent déconcertante. Afin de contourner cette difficulté, les experts du travail peuvent succomber à la tentation d’éluder la dimension humaine et de généraliser les méthodologies héritées de la technologie à la gestion des ressources humaines.
Ce glissement est d’ailleurs sensible dans la langue même, puisque les managers sont à présent aussi armés que les ingénieurs en termes de process, de méthodes, de techniques… Ainsi que le demande Michela Marzano, n’en sommes-nous pas venus à parler « à la fois de ressources et d’êtres humains ? N’y a-t-il pas une contradiction interne dans l’expression « ressources humaines » qui cherche à « humaniser » par l’utilisation d’un adjectif ce que, par définition, on exploite (les ressources) ? N’est-ce pas une façon de dire, tout en le niant, que même l’être humain est manipulable comme n’importe quelle ressource ? » Extension du domaine de la manipulation, Paris, Grasset, 2008, p. 55.